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N° 55 Une simple erreur d'étages
Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du manoir,
5ème étage, porte gauche. Mais ce matin là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème
étage, et frappa porte gauche. A peine s'était-elle aperçue de son erreur, qu'une voix résonna
dans la pièce du fond : « Enfin ! Je vous attendais ».
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Face à elle, un homme, grand, regard fiévreux, peau jaune. Il semble surpris voire stupéfait par
l’apparition de cette petite bonne femme menue, sacoche à la main. Il titube légèrement dans
l’entrée.
Il a du mal à se tenir debout. Il s’avance vers elle, se tient d’une main au placard de l’entrée.
-« mouais, c’est zarbi tout ça ! y Recrute des nanas, maintenant… ! Pti louis m’avait prévenu que
c’était un nouveau qui me livrerait ma came mais là… une meuf ! Bon filez moi la marchandise et
basta… »
Elle le regarde éberluée, elle est consciente de son erreur d’étage mais ne s’attend pas à cet accueil.
Visiblement un drogué en manque… elle relève le menton, s’avance, le regarde droit dans les yeux :
- « excusez moi je me suis trompée d’étage. Je suis attendue par la dame du dessus. Elle va très mal,
je dois filer. Laissez-moi passer. C’est très urgent svp »
L’homme se plante devant elle.
-« Qui me dit que vous n’êtes pas de la police ? Ils essaient par tous les moyens de nous coincer ».
Son regard devient plus menaçant. Il porte la main à sa poche. Un couteau ?
Elle recule, mais le fixe toujours
- « je m’en fiche de ce que vous traficotez, moi j’ai une personne à soigner une personne qui a un
besoin urgent de médicament, qui va très mal, alors vos histoires pffff.. ! ».
L’homme la dévisage, contre toute attente, il la croit. Petite silhouette menue, elle en impose,
néanmoins par la force qui émane d’elle. Il fait un pas sur le coté, un peu chancelant, il baisse la
garde. Il est fatigué de sa vie, de tout… qu’elle parte, qu’elle aille soigner la vieille du dessus si elle
veut, qu’on le laisse en paix, il doit lui rester un fond de coke quelque part…Il fera avec ou sans…
Au moment ou elle passe devant lui avec un léger signe du menton, il a un malaise, oh presque rien
mais il chancèle. Il se sent las. Il se sent seul. Il n’a de contact qu’avec ces potes. Tellement longtemps
qu’il vivote dans ce milieu là. Cette femme , l’espace d’un instant l’a perturbé, lointain souvenir d’un
monde « normal ».
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