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Tout se passa bien, le vieillard ne remarqua pas son trouble. Elle eut tout à coup l’idée de lui
demander s’il connaissait le voisin du dessous.
_ « Oh ! Il y a bien longtemps que je n’ai plus de voisin au-dessous. Sa femme est partie un jour et
n’est jamais revenue. Il l’attendait toujours, ça l’a rendu fou, il a été interné à l’hôpital psychiatrique
je crois, quelle misère ! Je suis sûr qu’il l’attend toujours malheureusement, je dis «
malheureusement » car elle ne reviendra pas, elles ne reviennent jamais ! » Que lui racontait-il là ce
petit monsieur ? Elle n’avait pas rêvé tout de même ! L’homme était peut-être rentré de l’hôpital
sans que le voisin du dessus le sache. C’était plausible. Ce qui l’était moins, c’était le fait que cet
énergumène semblait connaître des détails précis sur ses goûts et ses habitudes.
_ « Sa femme, je l’ai très peu vue » continua-t-il, « je ne la reconnaîtrais pas si je la croisais dans la
rue, elle vous ressemblait un peu d’après mes souvenirs. »
Voilà ! Il avait fait un transfert sur elle, le coup classique. Ca, ça s’expliquait. Elle remballa son
matériel, elle dit au revoir sans lui parler de l’incident et partit. En descendant l’étage, elle prit soin
de ne pas faire de bruit. Elle avait peur que la porte du 4 ème ne s’ouvre subitement. Elle passa une
journée éreintante et une nuit peuplée de rêves étranges et même effrayants : elle se trompait de
patient, de médicaments, son compagnon portait un bec d’oiseau et lui disait : « comment veux-tu
que je mange ces infâmes endives au jambon ? » Elle se réveilla en sueur et pensa à la journée qui
l’attendait. Il fallait retourner avenue du Manoir, le traitement du vieil homme devant durer
quelques jours. Elle songea à se faire remplacer mais les patients s’habituent aux soignants et
n’apprécient pas trop le changement surtout qu’elle n’avait pas vraiment de raisons à donner.
C’était tellement bizarre ce qui lui arrivait qu’on ne la croirait jamais si elle le racontait. Il fallait
retourner là-bas. Arrivée au 32 rue du Manoir, elle commença à grimper les marches. Une fatigue
soudaine s’empara d’elle au 4 ème étage, elle souffla un peu et ne put s’empêcher de jeter un coup
d’œil porte gauche. Elle était grande ouverte ! Un brouhaha se fit entendre et elle vit des hommes,
des déménageurs apparemment, qui sortaient des cartons de l’appartement mais elle ne vit pas la
personne qui lui avait parlé la veille. Elle s’enhardit à poser la question à l’un des hommes :
_ « Le locataire qui habitait là, déménage ? »
_ « Ca fait bien longtemps qu’il n’y a plus personne dans cet appartement lui répondit-on. Les
propriétaires veulent relouer et tout doit être vidé »
Elle devenait folle ou quoi ? Elle n’avait pas eu d’hallucinations. Hier un homme lui avait tenu
des propos insensés, elle l’avait vu, elle l’avait entendu ! Peut-être était-il revenu (coïncidence :
juste le jour où elle se trompe d’étage) pour récupérer des affaires personnelles avant que tout ne
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