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depuis des lustres, dans de très vieux appartements. Pour venir apporter un peu de réconfort elle
                  faisait dix minutes de voiture, aller, puis retour avant de revenir au moindre bip. Un jour, elle

                  avait envisagé de squatter la vieille loge de la gardienne, mais personne n’avait été capable de
                  trouver les clefs…

                     A 7h00 précises Mathilde commençait sa journée, qui allait durer environ douze ou treize

                  heures.  Avec ce nouveau service de téléconsultation un robot  lointain prescrivait, des

                  médicaments à apporter, des prises de sang, des analyses d’urine et toi, Mathilde débrouille toi !
                     Dans le cabinet d’infirmières, elles étaient deux, il  y avait aussi  Agnès, une toute jeune

                  diplômée sympa, qui avait accepté la garde une semaine sur deux. Mathilde avait bien senti une

                  certaine réticence chez le copain d’Agnès, qui appréciait très modérément que sa  « fiancée »
                  s’absente aussi souvent, la nuit, quand ils  avaient tant de choses à faire, ou à se dire. Alors

                  Mathilde enchaînait garde sur garde, c’était sa troisième semaine et Agnès venait de lui annoncer
                  qu’elle était enceinte de leur premier !

                     7h00. Mathilde est au pied de l’escalier, 32 Avenue du Manoir. Il faut gravir les cinq étages à

                  pied. La lumière fonctionne mal. Ses jambes ne la portent plus guère. Au deuxième palier elle est
                  obligée de s’arrêter, se reprendre, respirer, elle est épuisée. Mais elle continue de grimper. Chaque

                  degré est une difficulté. Une odeur caractéristique au palier suivant rappelle que la locataire de
                  cet appartement  a des dizaines de chats, et que  leur litière n’a pas été changée depuis… trop

                  longtemps maintenant. Parfois elle surprend le bruit des griffes sur le bois, comme un appel au

                  secours de ces pauvres bestioles. Elle monte. Arrivée sur un palier, elle a cessé de compter, elle
                  tourne à gauche. Et toque à la porte. Au loin une petite voix, très faible, lui dit d’entrer. Elle ne

                  prête pas attention au décorum, elle ne voit plus le papier peint usagé. Elle avance dans le noir,

                  l’électricité a encore dû sauter. Mais elle n’est pas là pour remettre des plombs. C’est sa première
                  visite de la journée, si elle devait être plombier, électricien,  facteur, modiste elle ferait un autre

                  métier. Elle, Mathilde, elle veut sauver les vies. C’est son engagement premier auquel elle n’a
                  jamais renoncé.

                     La petite voix continue de l’appeler, elle s’avance dans le couloir, tout est sombre, très sombre.

                  Ici aucun rayon de lune ne pénètre jamais,  on  dirait même que les candélabres de la  rue ne
                  parviennent pas à  éclairer cet appartement. Dans le lit une dame qui lui dit juste  « voilà bien

                  longtemps que je vous attendais... »

                     Mathilde, fatiguée, suppose que la pauvre dame commence à perdre la tête, elle est venue tous

                  les jours la voir, la soigner. En revanche elle ne lui connaissait pas cette chemise de nuit. Un
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