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- Frappez à la porte la prochaine fois que vous vous rendrez chez M. Geoffroy, le café sera
prêt.
- Il n’y aura pas de prochaine fois. Mon emploi du temps est très serré, j’ai beaucoup de
patients à visiter, je ne peux pas me permettre de perdre des minutes précieuses même si votre
gentillesse m’y invite.
- On ne sait jamais. Laissez-moi en tous cas vos coordonnées. Je n’aspire pas à avoir besoin
de soins infirmiers, mais c’est rassurant de savoir vers qui se tourner lorsque cela devient
nécessaire…
- Voilà ma carte. Nous réalisons aussi des soins au cabinet, lorsque l’état de santé des
patients ne les empêche pas de s’y rendre.
Elle délaissa cette fois l’ascenseur et emprunta l’escalier pour monter à l’étage supérieur où
habitait M. Geoffroy. M. Geoffroy était un ancien professeur de lettres classiques. Entouré de ses
livres, il vivait en compagnie des auteurs antiques grecs, au rythme de ses rechutes d’ulcères
variqueux. Elle le trouva allongé, la jambe du pantalon de pyjama retroussé jusqu’au genou, prêt à
recevoir les soins.
Elle le salua et s’enquit de son état de santé. Afin de détourner son attention, l’arrachage du
pansement et l’extraction de croûtes et de tissus morts sur la plaie avec un scalpel pouvant être
douloureux, elle raconta sa rencontre avec son voisin de l’étage inférieur. La réaction vive de son
patient, habituellement doux et placide, la surprit :
- Ce gredin de De La Cosserie-Bonpierre ? Je serais vous, je resterais à l’écart de sa
fréquentation. On ne l’aime pas beaucoup dans la maison. Il est à la tête de plusieurs affaires
industrielles et il n’a pas bonne presse dans son milieu où il emploie des procédés de mafieux. Il
coule les boîtes de ses concurrents pour les racheter à vil prix. Et vous savez ce qu’il a demandé à
ma nièce ? Il l’a incitée à m’envoyer dans un établissement pour personnes âgées. Vous savez
pourquoi ? Pour acheter mon appartement et agrandir le sien en créant un duplex avec un escalier
intérieur. Il a même promis à Muriel un généreux dessous de table…
M. Geoffroy était hors de lui à cette évocation. Sa description ne correspondait pas au portait
de l’homme affable qu’elle avait rencontré. M. Geoffroy tenait-il des propos aigris de vieillard
souffrant ou l’homme du 4 ème était-il particulièrement hypocrite ? En tout cas, elle n’imaginait plus
se retrouver chez lui et si elle venait à le rencontrer dans l’immeuble, elle ne répondrait pas à ses
éventuelles invitations. Et elle ferait désormais attention à frapper à la bonne porte.
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