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La chambre, dans laquelle elle entra, était plongée dans la pénombre. Le volet avait été
fermé pour ne laisser entrer que peu de lumière. Albert était allongé, intubé, une perfusion
fixée à son avant-bras. Le monitoring, installé à la tête de son lit, affichait une oscillation
régulière. Élodie s’approcha du malade qui dormait très profondément. Son regard courut le
long de la perfusion pour s’arrêter en haut du portant. Deux tubes, remplis d’un liquide jaune,
étaient reliés à une mini-pompe à morphine. Elle déversait à intervalle régulier, dans le sang
du patient, le précieux liquide, seul remède pour combattre la douleur. Elle avait naguère
connu ce boîtier électronique lors d’une opération au genou. Elle s’assit auprès du lit.
- Quelle chance ! lui dit-elle. Vous avez une belle chambre, du personnel pour veiller
sur vous, un petit cocktail de morphine. On vous câline. Vous allez vite vous remettre sur
pied.
Elle espérait qu’Albert, qui dormait toujours profondément, avait entendu ses paroles.
Elle se leva et l’observa avec soulagement. Le tracé du monitoring ne changeait pas. Elle jeta
à nouveau un coup d’œil sur la perfusion. On pouvait doser à volonté l’injection de la
morphine. Elle tapota sur le boîtier. Quelques secondes s’écoulèrent. Albert remua. Sa tête
alla de droite à gauche. Il ouvrit les yeux. Il cligna les paupières. Elles étaient lourdes. Il ne
comprenait pas ce qu’il voyait. « Que faites-vous là ? » lui dit-il.
Élodie savait qu’en éprouvant les sensations de son corps, il recouvrirait le souvenir de
son malaise. C’est alors qu’un aide-soignant entra, lui confirma que l’antiquaire avait bien fait
« un coma éthylique » et que des analyses étaient en cours.
- Sa femme pourra vous en dire davantage après son entretien avec l’interne qui a
demandé à la voir. Je vous saurais gré de nous laisser. J’ai quelques soins à prodiguer à
monsieur Joli. Merci !
Elle quitta la chambre et traversa l’hôpital pour se rendre vers la sortie. Partout les
odeurs étaient les mêmes entre antiseptiques et détergents. À l’accueil, le décor ne changeait
pas : affiches sur les maladies virales ; dépliants sur les gestes barrières ; chaises en
plastiques attachées entre elles et placées le long des murs. Aux urgences, les sons restés
immuables : arrivée des ambulances ; pas précipités ; ordres pressants hurlés alors que les
chariots amenaient des blessés dans les zones d’examen.
Au détour d’un couloir, elle croisa une dame aux cheveux brillants couleur de pin. De
courtes mèches lui arrivaient au ras des oreilles. La coupe convenait bien à la forme de sa tête.
Elle n’était pas maquillée. Ses sourcils épais et non épilés faisaient ressortir la petitesse des
yeux cachés par des lunettes à double foyer. La bouche mince, que ne rehaussait aucune
touche de couleur, trahissait une vive inquiétude. Cette personne rondelette, le visage poupin,
le parler méridional était Marcelle Joli.
- Tiens, dit celle-ci, c’est vous Élodie. Comme je suis heureuse de vous voir ! Mon
époux m’a rapporté qu’il a eu votre visite ce matin. Qu’a-t-il bien pu vous raconter ?
Cette seule question laissa présager, à l’infirmière, que Marcelle s’attendait à tout, de
la part de son conjoint. Elle savait qu’Albert confiait, à qui voulait l’entendre, qu’elle
cherchait à le supprimer.
Elle révéla à Élodie ce qu’elle avait raconté au médecin qui s’interrogeait sur la
présence de poison dans les analyses de l’antiquaire. Elle lui relata que son mari avait
concocté une mixture associant calva et baies noires toxiques de belladone. Il les avait
confondues avec les baies noires comestibles des myrtilles. Elle avait pris conscience de la
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