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l’était procuré directement à la ferme ; les baies noires il les avait cueillies dans un chemin de
campagne. « Que du naturel ! » s’exclama-t-il. Élodie envisagea de refuser son offre car
l’alcool n’était pas son fort, mais elle accepta. Il en fut flatté. Elle trinqua alors qu’il aurait
sans doute fallu qu’elle prenne une boisson plus en accord avec le fait qu’elle était encore en
service. Elle était si fatiguée ! Il lui fallait un remontant. Elle fit une entorse à la règle.
M. Joli en vint à l’objet de la visite médicale qu’il avait sollicitée.
- Sachez madame Prieur que je ne veux rien avoir à faire avec la police. Pourtant, j’ai un
souci et ne sais pas si je dois vous…
Il s’arrêta tout à coup.
- En ce moment, rectifia Élodie, je devrais me trouver chez le patient du dessus. Je vous
signale que je ne suis pas de la police et que ma présence ici est avant tout d’ordre médical.
M. Joli réagit à ce rappel.
- Médical ! C’est ce qui me convient. Je crains les journalistes et leur manière de
rapporter les faits à partir de ce que leur confient les policiers. On ne s’en relève pas ! Et du
tourment qui m’habite, je n’ai nulle certitude… C’est une idée affreuse qui me consume. Je ne
parviens pas à me la sortir de la tête.
Il marqua une pause, s’épongea le front, puis ajouta :
- En vous révélant mon problème, il se peut que je fasse du tort à ma pauvre Marcelle.
C’est terrible pour moi d’avoir à proférer d’affreuses choses sur elle !
- Ôtez-moi d’un doute… C’est bien de Marcelle, votre femme, que vous parlez ?
- Exactement.
- Et qu’avez-vous à lui reprocher ?
- Je n’ose le dire. Il existe tant d’horreurs et de victimes qui ne se doutent de rien…
Élodie Prieur commençait à se demander quand Albert Joli allait en venir au fait.
Heureusement que sa patience était à la hauteur de ce qu’exigeait le métier d’infirmière !
- Vous m’attendiez, m’avez-vous dit. Je suis « enfin » là. Vous pouvez me parler sans
crainte. Cela vous libérera d’un poids et vous montrera peut-être que vos récriminations sont
sans fondement.
- Vous avez raison… Je vais pouvoir me délivrer de cette pesante incertitude. Voilà !
j’ai l’insoutenable impression que l’on veut m’empoisonner
- Qu’est-ce qui vous amène à croire ça ?
Levant ses blocages, M. Joli effectua un récit qui aurait mieux trouvé sa place dans le
cabinet de son médecin de famille.
- De ces douleurs et ces nausées après les repas, s’enquit l’infirmière, vous en avez parlé
à votre docteur, n’est-ce pas ? Qu’en a-t-il conclu ?
- Il a diagnostiqué une gastrite aiguë. J’ai le sentiment qu’il est perdu. Il ne cesse de
modifier ses ordonnances. Jamais le même traitement et je ne sens aucune amélioration.
- Lui avez-vous fait part de vos… craintes ?
- Non, ni à lui, ni à mon entourage. Je ne veux pas que cela s’ébruite dans le quartier,
surtout si j’ai vraiment une gastrite. Cependant, il est très étrange que, chaque fois que
Marcelle s’en va, j’aille bien.
Gênée par cette déclaration, Élodie préféra couper court à la conversation.
- Je vais devoir vous laisser car le locataire du dessus doit s’impatienter. Je repasserai
vous voir en présence de votre épouse.
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