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N° 15 Tempête sous un crâne
Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32,
avenue du manoir, 5ème étage, porte gauche.
Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème étage, et
frappa porte gauche.
À peine s'était-elle aperçue de son erreur, qu'une voix résonna dans la pièce du
fond : « Enfin ! Je vous attendais ».
Elle sut instantanément que l’apostrophe provenait de la bibliothèque. Élodie Prieur
connaissait les lieux. L’appartement était le logement d’un antiquaire : à l’intérieur, personne
ne s’était risqué, aux dires du propriétaire, à détruire les éléments de décoration qui y
figuraient depuis la construction du bâtiment. La pièce, d’où elle avait été interpellée,
possédait non seulement des sculptures au plafond mais aussi des moulures partout ailleurs.
La personne, qui s’y trouvait, était un de ses patients : Albert Joli.
Elle s’apprêtait à s’excuser de sa bévue, quand s’ouvrit la porte. L’homme qui lui
apparut ôta son bonnet de nuit pour la saluer, dévoilant un crâne déjà bien dégarni. Ses
cheveux courts étaient grisonnants et ils auraient été épais s’ils avaient été plus longs. Il utilisa
une écharpe qu’il avait sur les épaules pour frictionner son visage, particulièrement ingrat :
des dents mal alignées et presque pas de menton. Ses yeux s’emplirent de larmes quand il la
regarda. Sous sa face triste et sa mine blême, il n’était plus que l’ombre de lui-même.
C’est dans cet état-là qu’elle se souvenait l’avoir trouvé, le jour où il était parti en cure
de désintoxication, trois mois plus tôt.
S’en aller en le voyant ainsi, c’était comme ne pas porter assistance à personne en
danger. Elle décida de rester près de lui. Le malade du cinquième pouvait attendre, elle se
devait de découvrir ce qu’avait l’antiquaire.
- Entrez, lui dit-il.
Il l’invita à le suivre dans le salon.
- Je ne manquerai pas de remercier la concierge, ajouta-t-il. Je savais qu’elle saurait
vous convaincre de passer me voir malgré votre emploi du temps chargé.
Élodie se garda bien de lui avouer que ce n’était pas la concierge qui était à l’origine de
sa présence mais une malencontreuse erreur, due à une grande fatigue. Elle le laissa croire que
la gardienne était une employée modèle. Pour elle, le plus important c’était d’avoir compris le
sens du « Enfin ! je vous attendais ». Elle traduisit le « Enfin ! » comme une urgence. De quel
mal souffrait Albert ?
Elle s’étonnait d’être encore capable d’entendre une telle demande, malgré la nuit sans
sommeil qu’elle avait passée à l’hôpital, au chevet de son garçonnet qui avait fait une brusque
poussée de température. Restée assise auprès du lit, elle lui avait tenu la main jusqu’au petit
matin. À présent qu’elle se dirigeait vers le salon, elle songeait à son bambin. Elle avait hâte
d’aller le retrouver, en fin de matinée, après avoir soigné son dernier patient.
Albert la tira de ses pensées. Il désigna un ensemble de fauteuils Voltaire disposés
autour d’une cheminée et proposa, si elle le désirait, de lui porter à boire. Il avait sorti une
bouteille où des myrtilles baignaient dans du calva. Il était fier de son breuvage. Le calva, il se
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