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N° 13 Quand c'est fini, ça recommence.
Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue
du manoir, 5éme étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d'insomnie,
elle s'arrêta au 4ème étage et frappa porte gauche. À peine s'était-elle aperçu de son
erreur qu'une voix résonna dans la pièce du fond : « Enfin ! Je vous attendais ». Le ton
enjoué et le timbre juvénile de cet accueil invitèrent Madame Le Goff à pénétrer dans
l'appartement, tout en s'excusant de sa méprise. Un jeune garçon, plus étonné qu'inquiet
la dévisagea avant de l'interroger. Elle se présenta : « Marie, l'infirmière de ta voisine du
dessus ! Je ne dois pas être bien réveillée, je me suis trompée d'étage et toi, qui attendais-
tu ?»
L'enfant, confiant, expliqua qu'il avait l'habitude, lorsque sa maman partait à l'étranger,
d'être sous la responsabilité de Nanouchka. Aujourd'hui elle était très en retard et il allait
devoir partir pour l'école sans l'avoir vue, c'était bien la première fois que cela arrivait. Il
la retrouverait pour le déjeuner, il allait lui laisser un petit mot... Souriant à l'infirmière il
lui dit : « Montez vite voir Madame Yvonne, elle doit vous attendre ! Et moi je file.»
Marie grimpe au 5ème étage et, le temps de saluer Madame Yvonne, elle lui raconte
son impair tout en prodiguant ses soins. Contrairement à son habitude, l'infirmière invite
sa patiente à parler du voisinage. Elle apprend que Martin est un gentil garçon qui vient
d'entrer au collège et qui aime étudier. Il a décidé d'apprendre le russe, pas seulement
pour faire plaisir à Nanouchka, mais aussi pour lui donner l'occasion de parler sa langue
maternelle et de valoriser sa culture. Quand il était petit elle lui fredonnait des berceuses
dans cette langues étrange aux accents lointains et Martin se laissait entraîner sur des
plaines inconnues vers des forêts enneigées pleines de dangers...
Madame Yvonne s'étonne de la situation, car, généralement celle qui fut la nourrice du
petit garçon arrive toujours avant le départ de la maman de Martin. Cette maman se rend
une fois par mois à Frankfort pour son travail et Nanouchka la remplace auprès de son
fils pendant les deux jours d'absence. C'est une organisation bien rodée. Avant même
qu'elle ne pose la question, Marie apprend que le papa, marin de commerce est absent
pendant de longues périodes. Avant de quitter la malade, Marie promet de passer à midi
pour voir si tout se passe bien.
La matinée s'étire, Marie Le Goff pense à Martin, elle essaie de répertorier les solutions
qu'il faudra envisager si l'enfant se retrouve seul à midi. Premièrement téléphoner à sa
maman. Ce matin, dans la précipitation, elle n'a pas demandé son numéro, elle se le
reproche car elle aurait peut-être déjà pu l'informer et apprendre comment contacter
Nanouchka... L'infirmière vient de visiter son dernier patient, un jeune homme charmant
qui ne se plaint pas malgré la gravité de ses blessures. Avant de revenir au cabinet faire le
point avec ses collègues, Marie passe à la boulangerie. Des clients commentent
fébrilement l'accident dont ils ont été témoins tôt ce matin : « Tiens, Marie ! Si tu étais
passée à ce moment-là tu aurais pu rassurer cette pauvre vieille et lui donner les premiers
soins... Heureusement les pompiers sont arrivés tout de suite... »
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