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Nous avons tenu une librairie avec Joséphine ma femme, pendant quarante-huit ans. J’ai
                  fermé la librairie en 1968 au moment des évènements. Depuis, je vis avec tous ces

                  souvenirs.


                         Sur la table qui se trouvait à la droite de Ankou, parmi les livres pêle-mêle, se

                  dressait un cadre photo en bois doré. Elle représentait un couple de mariés. C’était une
                  de ces photos que nous avons tous dans nos albums de famille. Il s’agit, en général du

                  mariage d’un vieil oncle ou de l’une de nos grands-mères. Ces photos couleur sépia du
                  début du siècle, aux personnages figés, sérieux, sans le moindre sourire.

                      —  Vous regardez ce couple de marié, n’est-ce pas ?  Et vous vous dites :  qui
                  peuvent bien être ces gens ? Il s’agit de la seule photo de notre mariage. Vous voyez,

                  c’est ma femme Joséphine, elle est morte il y a plus de trente-cinq ans. Nous avions

                  vingt-cinq ans le jour où cette photo a été prise.
                      —  Vous aviez une bien jolie femme dit Ankou.

                      —  Merci. Vous savez, en dehors de la valeur sentimentale qu’elle représente, cette

                  photo a une valeur artistique. Savez-vous pourquoi ?
                  Sans attendre la réponse, il poursuivit.

                      —  C’est le grand photographe Félix Nadar qui l’a prise, juste un an avant sa mort.
                  Vous savez Nadar, le photographe qui a fait le portrait de personnages célèbres. Victor

                  Hugo, George Sand, Hector Berlioz, Sarah Bernard.


                         Ainsi, de fil en aiguille,  ils  avaient  parlé  comme deux vieux amis  qui  se

                  retrouvaient après des années de séparation.
                  Comme toutes les personnes seules, il profitait d’une présence pour parler, ajoutant les

                  anecdotes  aux anecdotes.  Les heures passaient sans qu’ils n’y  prennent garde. Puis,
                  soudain, voyant l’heure au cadran du carillon fixé sur le mur qui lui faisait face, il dit.

                      —  Mais je vous ennuie avec toutes mes vieilles histoires.
                      —  Non, pas du tout. Je vais vous laisser, je dois me rendre au rendez-vous pour

                  lequel je suis venu à l’origine.

                      —  Vous ne veniez pas pour moi ?
                      —  Pour tout vous avouer, non ! Mais après  vous avoir entendu dire "  Enfin ! Je

                  vous attendais", je suis entrée, j’ai senti que vous aviez besoin d’une présence.

                      —  Voulez-vous encore un peu de Porto Ankou ?



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