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Ankou slalomait entre les montagnes de livres. Des livres, il y en avait partout.
                  Sur tous les meubles, sur toutes les chaises, des livres superposés à même le sol, en piles

                  instables allant jusqu’au plafond. Elle n’en avait jamais tant vu. La cuisine, le couloir
                  qu’elle avait suivi et le salon en étaient envahis.

                  Chargée de la bouteille de porto et de deux verres, elle regagna la pièce où elle avait

                  laissé le vieil homme. Ce dernier, les yeux toujours fermés, comme momifié, n’avait pas
                  bougé. Elle  profita de ce moment pour l’observer.  Son visage était ridé, une épaisse

                  toison blanche garnissait un crâne au haut front. Il portait les mêmes moustaches et le
                  même  petit  bouc  pointu,  que le professeur Tournesol dans les aventures de Tintin.

                  Derrière ses petites lunettes  rondes  et dorées, ses  yeux  clos laissaient  apparaître des
                  paupières dont la peau très fine et blanche, contrastait d’avec les cernes noirs qui les

                  soulignaient. Les joues creuses donnaient l’impression d’une immense fatigue, fatigue

                  encore accentuée par une barbe de plusieurs jours.
                  Il ouvrit les yeux, ceux-ci étaient d’un bleu très pâle, presque délavés.

                      —  Je ne sais pas ce qui s’est produit, c’est la première fois qu’une telle mésaventure

                  m’arrive. Heureusement, vous êtes enfin là.
                      —  Que vous est-il arrivé, demanda-t-elle.

                  Philibert Lecoche ne répondit pas. Du même geste las, avec lequel il avait indiqué la
                  direction de la cuisine, il montra, un endroit sur une petite table, qui n’avait pas encore

                  reçu son lot de livres. Elle y déposa la bouteille et les deux verres.
                      —  Posez les livres par terre et asseyez-vous, lui dit-il, en montrant une chaise qui

                  lui faisait face.

                  Ankou agissait comme si elle était la maîtresse de maison. Elle versa le porto dans les
                  verres et lui en tendit un. Le vieil homme le but d’un seul trait.

                      —  J’en reprendrais bien un second, dit-il en tendant son verre.
                  Il se rendit compte de  la surprise  qu’éprouvait  sa visiteuse  en voyant  l’incroyable

                  accumulation de livres. Il faut dire qu’il y en avait partout, de tous les styles, des romans
                  d’amour, des romans policiers, des essais, des biographies, des recueils de poèmes, des

                  livres pour enfants et des bandes dessinées.

                      —  Je suis un grand lecteur, crut-il bon d’ajouter.
                  Devant une telle profusion de livres, il était difficile de ne pas le croire. Le vieil homme

                  reprit.

                      —  Vous savez avant la guerre, je veux parler de la grande guerre, celle de 14, j’étais
                  libraire à Besançon. En 1920, je suis venu m’installer à Paris, juste après mon mariage.

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