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allemand, langue qu'elle ne connaissait pas. Enfin elle s'endormit, gavée de
berlingots à la sardine, et fut réveillée en sursaut par l'annonce du départ de
son train. Elle eut beau courir, à perdre haleine, qu'elle avait d'ailleurs
méchamment chargée, les sardines s'accommodant mal avec les berlingots,
elle le regarda partir sans elle.
Tant pis, dit-elle, j'ai tout mon temps. Elle retourna au guichet et prit soin
de choisir la file la plus longue, et réussit, seulement trois heures après, à se
le faire échanger, pour le train du lendemain.
Pendant ce temps, le canari parvenait à quitter la gauche main de son
compagnon, lequel dessina sur la feuille jaune une nouvelle barre, et se
retrouva sur son perchoir, un peu sonné, mais sans dommage, du moins le
pensait-il. Il en profita pour lancer quelques trilles, en ré mineur, comme il
se doit pour tout canari sérieux, tout en regrettant que Clara, qui n'était pas
mélomane, n'ait jamais pu en profiter à sa juste valeur.
Clara sortit de la gare, alla se restaurer en terrasse d'un établissement
réputé pour ses fricassées de grains de riz farcis aux melons entiers, mais
appela le garçon car un des grains de riz avait laissé échapper un affreux
grain de cucurbite tassé, ce qui eut pour résultat de la mettre mal à l'aise.
Elle fila aux toilettes se refaire une beauté, régla son addition, et s'engouffra
dans le cinéma le plus proche. Ça tombait bien, il y avait à l'affiche une
production albano-marocaine d'un metteur en scène sino-ghanéen, où des
acteurs afro-cubains dissertaient en langue étrangère, qu'elle ne comprenait
toujours pas, sur l'insoutenable légèreté du néant, et qui avait eu un prix
accessit au dernier festival des planteurs de volailles de Ramy Saint Léger.
À la seule évocation du mot volaille, Clara ne put s'empêcher de verser
une larme à la pensée d'avoir dû, mais pouvait-elle faire autrement, charger
son pauvre canari de son compagnon. À moins que ce ne fût l'inverse.
Elle en ressortit les yeux rougis, et les joues bleuies, son maquillage
ayant coulé, accompagnant vers leur destinée ses larmes en leurs méandres.
Elle rejoignit la gare, emprunta cette fois l'entrée principale, car elle avait le
temps, et se rendit chez le marchand de revues. Hélas, c'étaient les mêmes
que la veille. Aussi n'en acheta-t-elle toujours pas. Elle voulut reprendre un,
allez, c'est trop bon, deux paquets de berlingots à la sardine, mais elle avait
acheté hier le dernier, et le livreur, qui ne livrait que tous les trois jours, ne
les livrerait qu'après-demain. Elle se consola en achetant un joli paquet de
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