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N°   3                          Jaune comme un canari :





                        Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles
                        qu’elle avait considérées comme ses amies. Un malaise persistait en elle.

                        Ses pensées furent interrompues par l’arrivée du train. La porte s’ouvrit, elle
                        mit un pied sur la première marche, leva la tête et s’arrêta brusquement. Elle

                        pensa soudain que la veille de son départ, au retour de la soirée d'adieu entre
                        copines qui clôturait cette semaine folle où elle avait totalement délaissé son

                        compagnon,   elle l' avait confié,  ce bel homme qui l'avait devancé dans la

                        vie d'un bon quart de siècle, à son canari, à moins ce que ce ne fût l'inverse.
                          Enfin, le vieil homme et l'oiseau avaient, grâce à elle, été réunis, et un

                        grand avenir, qu'elle espérait radieux, s'ouvrait devant eux trois, son
                        compagnon, elle, et le canari.

                          Elle avait subitement ressenti le désir de s'évader, le besoin de liberté, et

                        avait avisé son compagnon, à moins que ce ne fût son canari, que son
                        absence serait probablement longue, très longue, des mois sans doute, et

                        peut-être même, des années.
                          Avant même que les lueurs de l'aurore ne rosissent l'horizon, elle était

                        monté  dans le taxi qu'elle avait pris soin de commander il y a dix jours déjà,

                        et à qui elle n'avait pas omis de confirmer la course peu avant de confier son
                        compagnon à son canari, ou l'inverse, car elle avait alors senti monter en elle

                        les prémices de ce désir d'aventures.
                          Elle n'avait pour tout bagage qu'un de ces petits sacs que l'on peut

                        transporter en les tenant par leurs anses, où porter comme un simple sac à
                        dos, ce qui fait que le taxi n'eut nullement besoin d'ouvrir son coffre, à son

                        grand soulagement, car il avait tendance à se coincer aux pires moments,

                        c'est-à-dire lors de son ouverture, et lors de sa fermeture. Contrairement à
                        ses habitudes, le chauffeur ne poussa donc pas de grands cris, aussi, nous ne

                        saurons jamais s'il était ténor, basse, baryton, ou castrat, ce qui, entre nous,
                        n'a absolument aucune importance d'autant plus que Clara, elle s'appelait

                        Clara, si elle adorait les trilles de son canari, n'était pas mélomane pour deux
                        sous.

                          À peine le taxi avait-il tourné le coin de la rue, rapprochant chaque

                        seconde Clara de la gare, que son compagnon, glissant délicatement sa main

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