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d’un Vincent Van Gogh sur les bords de Seine. Comme eux, il s’était posé à plusieurs reprises
sur ses rives, tentant d’esquisser son profil, ses courbes tantôt larges et arrondies, tantôt plus
étroites.
La Seine, il la connaissait bien. Leur première rencontre avait eu lieu à Paris. Il avait suivi son
cours, à la découverte des trente-sept ouvrages d’art qui l’enjambaient. Sa préférence allait aux
deux ponts Louis-Philippe entre l’Ile de la Cité et l’Ile Saint-Louis, et Alexandre III, inauguré
pour l’exposition universelle de 1900. Du pont Mirabeau, il ne gardait que le souvenir
d’Apollinaire.
La Seine, il avait beau essayer de l’esquisser, il la voyait plus avec les yeux d’un professeur de
géographie. Il s’était alors résigné et avait décidé de se tourner vers les personnages, les portraits
et pourquoi pas le nu. Il ne se consacrait pas à ce loisir autant qu’il le souhaitait, mais il en avait
besoin comme exutoire assez régulièrement. Son emploi du temps ne lui permettait pas
d’assister à des cours collectifs de peinture. Aussi s’était-il résolu à faire appel à l’agence
Croquez-nous pour lui envoyer quelqu’un.
Quand Enola avait sonné à sa porte ce fameux lundi, il l’avait confondue avec le modèle. Son
départ précipité l’avait sur le moment complètement désarçonné.
Enola l’avait écouté poliment et comprit à son tour le quiproquo. Maintenant que Paco s’était
tu, elle lui annonça qu’elle n’avait aucune origine mapuche. Elle était seulement bigoudène.
Elle aussi avait un ancêtre renommé, Charles Chaussepied, un architecte. Il avait surtout œuvré
dans le Finistère, notamment sur quelques communes à l’extrême sud-ouest du département.
Elle travaillait pour le moment en région parisienne, mais elle projetait de s’installer
prochainement à Lesconil, commune où elle était née. Plus elle racontait, plus Paco fronçait les
sourcils. C’est donc dans un éclat de rire qu’elle prit congé, laissant Paco totalement abasourdi.
Comment avait-il pu se tromper ainsi ?
D’abord ce prénom, puis son physique, son teint hâlé, ses cheveux, ses yeux légèrement bridés,
très foncés. Il ne divaguait pas, elle était mapuche. Il ne pouvait pas en être autrement.
Les jours suivants, Paco rencontrait des difficultés à se concentrer sur sa thèse. En dehors de
ses obligations de cours, il ne faisait que dessiner et peindre. Enola l’habitait, elle le hantait. Il
révélait son portrait dans les moindres détails. Il fermait un instant les paupières, comme une
envie de tout oublier, de ne plus penser. Puis, il fixait le chevalet et laissait le pinceau faire son
œuvre. Du bout des doigts, il avait l’impression d’effleurer son visage, de tracer le chemin de
sa nuque, d’y voir les reflets du soleil y luire légèrement, suggérant la douceur de sa peau. Il
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