Page 120 - affiche-plume-2020.indd
P. 120
N° 110 Le vieil homme et l’amertume
Elle avait eu maintes fois l’occasion d’être appelée pour des soins urgents au 32,
avenue du manoir, 5 ème étage, porte gauche.
Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d’insomnie, elle s’arrêta au 4 ème étage, et
frappa porte gauche.
À peine s’était-elle aperçu de son erreur, qu’une voix résonna dans la pièce du fond :
« Enfin ! Je vous attendais ».
Une voix d’homme, un peu chevrotante, haut perchée.
« Entrez, mais entrez donc, et fermez cette porte si vous ne voulez pas que je
m’enrhume par-dessus le marché !
— Mais Monsieur Armand, vous avez déménagé ? Vous n’habitez plus au
cinquième ?
— Déménagé ? Mais vous racontez n’importe quoi, ma pauvre Sylvie ! Venez vite ici,
je ne me sens pas bien. Vous voulez vraiment avoir ma mort sur la conscience ?
Sylvie se dépêcha de rejoindre le vieil homme dans la pièce du fond. Monsieur
Armand était blotti dans son fauteuil habituel, au milieu du salon habituel agrémenté
du désordre habituel. Des sourcils en accent circonflexe lui donnaient une
expression perpétuellement inquiète, qu’une moue rébarbative rendait encore plus
revêche. Sylvie était à présent habituée aux déclarations alarmistes du vieillard
hypocondriaque et savait que sa simple présence allait le rassurer et calmer son
anxiété. Elle ouvrit sa mallette, exhiba son stéthoscope et son tensiomètre, puis
remonta la manche de Monsieur Armand.
Tout en l’auscultant, Sylvie se dit qu’elle devrait prendre un peu de repos. Ces
gardes à l’hôpital étaient éreintantes, et manifestement elles commençaient à
impacter son jugement. Elle était persuadée de n’avoir monté que quatre étages et
pourtant elle était bien chez Monsieur Armand. Elle s’était donc trompée, elle avait
mal compté les étages, c’était aussi simple que cela.
1