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- Je suis trop heureux de vous voir pour être déçu. Je ne veux pas vous obliger à quoi que ce
soit, mais si un jour prochain, lors d’une de vos visites à Philomène, vous vous trompiez de
nouveau d’étage en montant ou en descendant, sachez que vous êtes la bienvenue chez moi.
Et aussi que je ne vous attends pas seulement pour combler ma solitude. J’ai un projet qui
nécessite de l’aide, et j’ai pensé à vous. J’ai couru le risque que vous frappiez trop tard à ma
porte parce que j’ai un peu peur de réaliser ce projet, mais maintenant, en vous voyant devant
moi je suis tout à fait résolu à le mettre en route. Je suis sûr que ça vous amusera, Emy.
Georges se leva lentement de son fauteuil, se saisit de sa canne, et de la main fit signe à
Émérancie qu’il la raccompagnait jusqu’à la porte d’entrée. La démarche du vieil homme était
plus sûre qu’Emy s’y attendait. Sur le seuil elle se tourna vers lui, et choisissant une fois de
plus d’ignorer la petite voix de la raison comme elle en avait tellement l’habitude, lui
murmura :
- A bientôt, Georges.
Deux jours plus tard, Quimper sous un ciel gris attendait la pluie. Le vent soufflait fort dans
ses rues et sur ses quais, donnant un aperçu de la petite tempête annoncée pour la nuit. Emy
était coincée dans un embouteillage, elle avait choisi ce parcours-là parce qu’il offrait
justement la plus grande probabilité de se retrouver bloquée dans la circulation, et qu’elle
voulait être un peu seule avant son prochain rendez-vous, tout en ayant une bonne excuse
pour être en retard. Elle se savait privilégiée d’avoir un travail, d’être associée au cabinet
médical le plus réputé de Quimper, et culpabilisait d’autant plus de ne pas en être heureuse, de
ne pas dormir la nuit à l’idée de sa journée du lendemain, des détresses qu’il faudrait apaiser,
des souffrances qu’il faudrait calmer, de la vie brutale, terrible et injuste qu’il faudrait
affronter. Elle pensait à Georges, Georges qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’avait vu que
cinq minutes et qu’elle s’empêchait de retourner voir si vite, Georges qui l’avait intriguée, qui
l’attendait, et qui lui manquait comme un ami cher pas vu depuis longtemps. À force de
penser à leur rencontre, elle s’était félicitée de l’attitude qu’elle avait adoptée, aimable mais
réservée, laissant espérer sans rien promettre de concret non plus, exploit pour elle, obtenu
sous le coup de la fatigue certes, mais tout de même. Elle savait qu’elle retournerait le voir,
qu’elle ne tiendrait pas jusqu’à la fin de la semaine pour savoir en quoi consistait le
mystérieux projet avec lequel il avait su judicieusement l’appâter. Madame Talamot avait dû
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