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N° 31                     Coucher de soleil à Beg-Meil






                 Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du
               Manoir, 5ème étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle

               s'arrêta au 4ème étage,  et frappa porte  gauche.  À peine s'était-elle aperçue de son erreur,
               qu'une voix résonna dans la pièce du  fond :  «  Enfin ! Je vous attendais  ».  Emy hésita un

               instant à entrer dans l’appartement, mais poussa néanmoins doucement la porte déjà ouverte
               et s’avança jusqu’au bureau d’où lui était parvenue la voix inconnue. Un homme âgé était

               assis dans un profond fauteuil noir. Il lui faisait face et la regardait droit dans les yeux. Il y

               avait dans son regard de la malice et de la vitalité, dans son sourire de la bienveillance. Une
               canne en bois reposait contre l’accoudoir droit du fauteuil. Derrière lui, la fenêtre sans rideaux

               dévoilait un ciel blanc et froid. Emy resta sur le seuil du bureau :

               - Je vous prie de m’excuser, Monsieur, je ne suis pas la personne que vous attendiez. Je viens

               faire des soins chez la dame qui habite au-dessus de votre appartement, et je me suis arrêtée

               un étage trop tôt.

                 Le vieil homme ne parut pas étonné. Il continuait de sourire. Tout en la regardant de ses

               yeux bleus limpides, d’une voix douce et calme il répondit :

               - Vous vous appelez Émérancie Jacq, vous avez 36 ans, vous êtes infirmière depuis six ans en

               libéral, vous venez régulièrement depuis deux ans chez Philomène Talamot, qui n’a besoin
               d’aucun soin mais seulement de compagnie, parfois de façon urgente il est vrai, et vous êtes

               bien la personne que j’attendais.


                Il accentua légèrement son sourire sur la fin de sa phrase, semblant s’amuser de l’étonnement
               qu’il venait de déclencher chez son interlocutrice. Emy regarda le vieil homme un moment

               sans rien dire. Elle cherchait à le reconnaître, à mettre sur ce visage inconnu un souvenir qui
               lui permettrait de comprendre la situation dans laquelle elle se trouvait. La fatigue de la nuit

               embrumait son esprit, le visage aimable du vieil homme ne lui évoquait rien.  L’homme

               sembla deviner les réflexions d’Emy :





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