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- Nous ne nous sommes jamais vus avant aujourd’hui, Madame Jacq. Il est normal que vous
               ne sachiez pas qui je suis. Mais vous êtes bien la personne que j’attendais.  Si vous me le

               permettez, j’aimerais vous appeler Emy, comme tous vos amis le  font, je crois. Moi,  je
               m’appelle Georges Goujon. Ne m’appelez jamais Gégé, j’ai horreur de ça !


                 Georges Goujon expliqua à Émérancie qu’il tenait les quelques informations la concernant

               des confidences qu’il  avait su obtenir de  Madame Talamot lors des conversations
               interminables que sa voisine lui imposait lorsqu’elle le  croisait, et  auxquelles il s’était

               toujours montré incapable d’échapper. Il avait compris que les visites de l’infirmière n’étaient
               pas toutes justifiées sur le plan médical, et que si les premières interventions consistaient bien

               en des actes nécessaires pendant la convalescence de la vieille dame après que celle-ci s’était

               cassé un poignet, les déplacements actuels et notamment celui de ce jour-là n’étaient plus que
               des visites  amicales autour d’un café,  faisant toutefois l’objet d’une  facturation  et d’un

               remboursement par la sécurité sociale.

               - Je me suis procuré votre numéro et j’ai bien des fois failli vous appeler. Mais je n’ai jamais

               osé parce que je me porte très bien et que j’avais quelques scrupules à me comporter comme

               ma voisine. Et puis, je ne sais pas comment, mais j’étais sûr qu’on finirait par se rencontrer de
               toute façon. Chaque fois que j’entends l’interphone sonner au-dessus de ma tête, je sais que

               c’est vous qui allez monter au cinquième, et chaque fois je me dis que peut-être cette fois-ci
               vous allez vous tromper d’étage et frapper à ma porte. Voilà, c’est aujourd’hui !


                 Émérancie s’était appuyée contre le chambranle de la porte pendant l’explication de Georges
               Goujon. Elle avait écouté, d’abord embarrassée, puis peu à peu rassurée par le ton malicieux

               pris par son hôte, et c’est avec un sourire amusé qu’elle avait accueilli la fin de la confession

               de celui-ci. Elle prit néanmoins un moment pour réagir. La fatigue qu’elle sentait peser sur
               elle engourdissait  sa réflexion,  elle ne voulait pas faire de proposition sous le coup de la

               sympathie que le vieux monsieur lui inspirait,  parce qu’elle n’était pas sûre de ne pas le
               regretter lorsqu’elle  aurait les idées plus  claires. Elle se savait habituée des décisions

               impulsives et avait appris à s’en méfier  au fil  du temps.  Le silence s’installa sans que ni

               Georges ni Émérancie  n’en ressentirent aucun  malaise.  Émérancie finit néanmoins par se
               redresser, et offrit son clair sourire pour dire à Georges :


               - Il faut que je monte retrouver Madame Talamot qui doit s’impatienter. Votre petite histoire
               m’a plu. Je crains néanmoins avoir déçu votre longue et opiniâtre attente… Je ne suis pas dans

               un de mes meilleurs jours si ça peut m’excuser.


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