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N° 51 L'ami Gaspard
Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du
manoir, 5ème étage, porte gauche.
Mais ce matin là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème étage et frappa
porte gauche.
A peine s'était-elle aperçue de son erreur, qu'une voix résonna dans la pièce du fond :
« Enfin ! Je vous attendais ».
Sur l'instant elle hésita, mais le poids excessif de sa sacoche d'infirmière libérale et les
étages qu'elle venait de gravir, entretien de l'ascenseur oblige, la forcèrent à s'arrêter un
moment pour souffler. Elle ressentit une profonde fatigue, la nuit avait été longue car son
fils Gaël âgé de 4 ans avait la varicelle, maladie infantile sans gravité qui sévissait dans sa
classe de maternelle mais qui occasionnait des démangeaisons importantes qu'elle avait
tenté de calmer et qui avaient perturbé leur sommeil.
La même voix renouvela ses propos sur le même ton légèrement impatient: « Enfin ! Je
vous attendais ».
La curiosité l'emporta et Isabelle, doux prénom qui lui seyait à merveille, les mains enfin
libres ouvrit la porte de l'appartement qui ne résista pas en murmurant : « Qui peut bien
m'attendre ici, je n'y suis jamais venue ? ».
Par acquit de conscience elle vérifia sur son portable si par hasard un appel était arrivé
durant son trajet car ses collègues du cabinet médical qui l'employait savaient où elle se
rendait pour ce premier soin de la matinée. Mais rien à signaler, son emploi du temps déjà
établi situait bien son intervention à cette adresse mais un étage au-dessus ce qu' Isabelle
savait, elle avait bien conscience de son erreur.
En franchissant le seuil de ce logement son premier réflexe fut de constater que l'architecte
qui avait travaillé à la construction du bâtiment avait dessiné les étages à l'identique ce qui
lui permettait d'être déjà à l'aise car elle connaissait bien l'appartement du 5ème étage, celui
où elle était attendue.
Il régnait ici une chaleur étrange accompagnée d'une moiteur anormale que ce mois
d'avril ensoleillé ne justifiait pas malgré des températures extérieures supérieures aux
normales saisonnières dans ce petit port du pays bigouden.
Isabelle trop chaudement vêtue d'une doudoune bleu-ciel de la même couleur que ses yeux
et d'une écharpe en laine marine tricotée main ressentit immédiatement l'étrangeté du lieu où
régnait une intense luminosité et se sentit un peu comme Alice, l'héroïne de Lewis Carroll à
la porte du pays des merveilles. Puis elle parvint à détailler le lieu et elle découvrit,
stupéfaite, une série de lampes halogènes qui, non seulement diffusaient une lumière
blanche très crue mais aussi une chaleur quasi insupportable sauf pour les plantes tropicales
dont les pots, posés sur des bancs le long des murs étalaient feuilles et fleurs d'une
incroyable luxuriance dans ce hall d'entrée que prolongeait un long couloir.
Les nombreux anthuriums, appelés aussi « fleurs de bienvenue » laissaient éclater leurs
couleurs qui variaient du rouge flamboyant au blanc en passant par le rose et l'orangé,
extraordinaire spectacle !
« Chez qui suis-je donc ? Qui peut bien vivre dans ce lieu ? »
Les questions se télescopaient dans l'esprit d'Isabelle qui ne savait pas quoi penser. Et la
voix derrière l'une des portes reprit sur le même ton que la première fois : « Enfin ! Je vous
attendais ».
Dans le couloir, envahi lui aussi de plants d'anthuriums, trois portes fermées devant elle et
derrière l'une d'entre elles, celle du fond, se trouvait donc la personne qui l'attendait ?