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sortit de sa contemplation en souriant à l'homme qui pénétra dans la chambre afin de
            rassurer son ami oiseau qui, dès qu'il aperçut  son maître dit :  « Enfin! Je vous attendais ».
            Le perroquet était rassuré...Isabelle aussi... le propriétaire également car durant quelques
            secondes il s'était demandé qui était entré dans son appartement, il se promit d'être plus
            attentif à l'avenir.
            Il alla aussitôt ouvrir la fenêtre, l'oiseau comprit le signal, déploya ses ailes et avec
            délicatesse et précision se posa sur le large rebord extérieur nullement ennuyé par le lien qui
            l'empêchait de s'envoler plus loin au péril de sa vie. Isabelle le regardait évoluer avec le
            même regard que celui d'Alice découvrant le lapin blanc aux yeux roses qui savait lire
            l'heure dans son pays des merveilles.
             Quelques instants plus tard, installés à la table de la cuisine devant un verre d'eau,  Isabelle
            et monsieur de Savincourt qui s'étaient mutuellement  présentés se regardaient en souriant,
            ils prirent le temps de se désaltérer puis vinrent les explications, des   explications d'une
            incroyable simplicité :
                – Voyez-vous chère visiteuse, ce  grand électus qui répond au nom de Gaspard est une
                    espèce de perroquet connue pour être l'une des plus douées dans l'imitation de la
                    langue humaine. A son retour d'une dizaine d'années de travail dans le nord-est de
                    l'Australie et désormais installé à Paris, notre fils Victor nous a confié cet oiseau
                    magnifique rescapé d'un zoo et qu'il élevait depuis plusieurs années pour tenir
                    compagnie à sa mère atteinte d'une maladie à dégénérescence neurologique. Très
                    curieusement   elle   adopta   immédiatement   cet   animal   doux   et   affectueux   qui
                    accompagnait ses journées.  Durant de longs mois  la seule phrase cohérente que mon
                    épouse prononçait plusieurs fois par jour en présence du volatile était, vous l'avez
                    deviné : « Enfin ! Je vous attendais ». Dès que je m'éloignais d'elle, même un court
                    instant et que je réapparaissais elle ne manquait jamais de me dire ces mots. Gaspard
                    a   attendu   le   départ   définitif   de   mon   épouse   pour   s'exprimer   comme   s'il   avait
                    conscience   de   mon   chagrin   et   voulait   me   consoler   en   répétant   les   mots   que
                    prononçait si souvent  ma chère épouse.
                – C'est très troublant en effet et aussi très émouvant car sa voix semble humaine, mais
                    pourquoi votre épouse utilisait-elle le « vous » ? De nos jours cela surprend entre
                    époux.
                – Ce vouvoiement vous a  intriguée et vous n'êtes pas la seule dans ce cas mais notre
                    éducation respective dans la petite noblesse en est l'origine. D'ailleurs le nom de cette
                    rue appelée  avenue du manoir  provient de notre ancienne demeure familiale, un
                    modeste manoir en l'occurrence, qui se trouvait à l'emplacement de l'immeuble. Cette
                    bâtisse en mauvais état a été entièrement démolie et nous avons reçu en paiement du
                    terrain cet appartement que nous apprécions beaucoup Gaspard et moi, on y voit la
                    mer et le port de pêche pas très loin.
              Isabelle trouva l'histoire très émouvante et ses yeux s'embuèrent d'une émotion contenue.
              Elle récupéra rapidement ses vêtements et sa sacoche et constata surprise que seulement un
            quart d'heure s'était écoulé depuis son entrée dans l'appartement du 4ème étage porte
            gauche ; elle aurait juste quelques minutes de retard  pour commencer sa journée de travail.
            Elle salua monsieur de Savincourt qui lui fit promettre de revenir rendre visite à Gaspard :
            elle promit, très touchée.
              En montant lentement l'escalier qui la conduisait à l'étage supérieur pour ne pas briser trop
            vite l' extraordinaire  surprise de cette rencontre, Isabelle s'arrêta brusquement car elle venait
            de comprendre pourquoi l'odeur particulière qui régnait dans cet appartement lui avait
            rappelé   des   souvenirs   lointains ;   c'était   celle-là   même   qui   émanait   de   la   volière   des
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