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? J’ai connu le temps du désespoir, celui où l’on attend encore un peu plus, un simple geste,
               un nouveau regard. Mais il n’est pas venu.


               Jacqueline, si tu avais bien voulu m’accompagner, nous aurions longé la grève, pour voir

               flotter nos rêves, nous aurions marché au bord de la mer, sur les rochers de Saint Gué, nous
               retournant pour voir s’effacer sur le sable humide de la Torche, les traces de mon assuétude.

               Quittant la plage fraîche que le vent remue et que la vague embrasse, nous serions partis dans

               les bois, dévêtir nos secrets pour les habiller d’ombres salutaires, noyer de mystère la fragile
               lumière de nos joies et de nos peines.


               Ah ! Si tu voulais bien ne pas m’abandonner, nous irions l’un vers l’autre, dans la vérité de
               nos cœurs blessés, enlacer nos mains, croiser nos regards et nos liqueurs intimes, pour

               l’éternité. À la prime lueur d’un instant de silence, ma langue et mes lèvres exploreraient ton

               corps et tes sucs avec délice, passerelles de nos passions, passeports de nos constellations,
               jubilation, délectation et libre ascension. Larmes de plaisir, d’envies et d’ivresse, langue

               discrète, secrète et vagabonde, plume aiguisée comme un ergot de corne, qui allume la mèche

               d’un dernier exil, d’une dernière traversée.

               Que l’addiction à tes senteurs perfides imprègne une dernière fois ma bouche et mes lèvres

               offertes. Fais danser mon corps de désir, fais-le crier de plaisir. Tes effluves navigueront sur
               les océans de mon abandon, l’eau parfumée de tes délices étanchera définitivement ma soif.

               Dans mes veines, ton eau de jouvence espérée, distillera mon éternelle jeunesse. Des vagues

               de plaisirs guideront les ultimes caresses. Sur ce bateau désespérément exalté où résonnent
               encore les cris de mes envies, aime-moi une dernière fois, avant que l’ultime goutte d’une

               rosée funeste ne se dépose sur mon corps.


               Ce matin avec toi et sans toi, je marche dans la nuit, le jour nouveau m’attend, et je ne me
               retourne pas. Oblation bienheureuse à cette douce lumière, laineuse toison d’agnelles

               endormies qui veille sur moi, manteau d’extase arraché à la nuit, qui cavale vers l’aurore et
               guide mes derniers pas. Âme impure exaltée, lumière originelle qui attend les premiers rayons

               du soleil. Je marche seul vers mon destin. Le vent s’est endormi, laissant l'air embaumé de

               fenouil et de senteurs d’anis. J’ai senti couler sur mes épaules meurtries des perles de chagrin,
               traverser mes chairs, asphyxier mes ultimes espérances, et noyer mon cœur dans les vapeurs

               d’alcool. Je reste là, sans bouger, saoulé et chahuté par le souffle du vent mauvais. J’ai
               souvent prié, j’ai peut-être crié, incapable de m’éloigner de mon jardin secret. Peut-être m’as

               tu entendu ma belle Jacqueline ?

               5 – 12 ième  Edition Concours de Nouvelles sous la Plume - 2021
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