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Ce matin je t’aime simplement, comme un unique vers, comme un dernier verre. Verre de
délectation sublime et d’abandon, je me serre contre toi.
Niche-toi entre mes doigts, j’ai tant besoin de tes caresses, de tes parfums, de tes liqueurs
subtiles. Ne m’abandonne pas, j’ai trop peur d’affronter la solitude. Devine dans mon cœur ce
besoin de bonté, ce désir de tendresse. Ce soir je suis trop ému pour te parler d’amour, serre-
moi entre tes bras, ce matin c’est mon tour, c’est ma tournée, celle où l’on s’abandonne, dans
la chaleur d’une saveur câline et quelquefois divine. À la fin de cette cure de reniement,
presque d’isolement, j’ai bien cru déceler le tout premier sursaut des ombres embroussaillées.
Dire qu’à côté de moi, un autre impatient s’en va, plus pauvre et plus seul que jamais,
abandonnant les siens, plongeant de lui-même dans mille rêves embrumés. Calumet consumé,
gosier saturé, décollage programmé vers de bien tristes sommets. Les derniers avertissements
et les derniers asservissements le renvoient au sommaire. Forfaiture perfide d’un reniement
qui tourne la page.
Est-il venu pour moi aussi le temps de poser, sur la marche de ce train qui piaffe à chaque
gare, ce pas qui me fera quitter le quai, et m’emportera vers cette obscure voie que l’on tire au
cordeau ? L’impatience démange et dévore la vie, comme se perdent les jours que l’on pensait
dérisoires. Quand la vie s’enfonce, se détruit et s’abandonne, elle est le point final.
Curieuse hâte que cette envie récurrente à vouloir sortir de soi-même, pour suivre sans
ombrage, le sinistre fanal qui brille un peu plus chaque nuit. Accompagnant mes délires
éthyliques, d’étranges papillons en berne abandonnent au clair de lune leurs ailes devenues
trop sombres. Absinthe, mon seul et unique amour, le poison de tes délices devient un peu
plus chaque soir le javelot de la mort qui force assidûment les portes de ma rédemption.
Et sans toi, ma Jacqueline, j’attends avec délivrance cette lente germination qui brusquement
implose, qui brutalement fait corps, éclatant la vie en volant sur mon désespoir. Que sont
devenus les étés de ma fugace jeunesse, que sont devenus les beaux matins d’allégresse ? Sur
le fil de la dépendance, qui n’est plus qu’un hésitant espoir, les chemins sinueux s’égarent et
puis s’essoufflent. Je reste seul, car tu n’es pas là.
J’entends se rapprocher le silence des statues et des temples austères, beautés silencieuses,
quelquefois lapidaires qui exigent de l’homme recueillement et acte de contrition. Je l’entends
ce silence du tombeau qui brise l’orgueil, ce silence bleu du ciel qui derrière les grilles de la
fenêtre de ce funeste lieu de soin, veut chasser le deuil, traquer mes peurs, éloigner la torpeur.
3 – 12 ième Edition Concours de Nouvelles sous la Plume - 2021