Page 18 - affiche-plume-2020.indd
P. 18
- Bonjour Maryse, un petit souci ce matin ? Demanda-t-il, en regardant l’heure
indiquée par son horloge de chevet.
- Bonjour Monsieur Jourdain… J’étais retenue…
- Combien de fois dois-je vous dire de m’appeler Pépé ?
- Ah ! Ah ! Ah ! Excusez-moi, Pépé, j’ai été retenue par votre copine du dessous.
- Ah, la vieille folle !
- Ce n’est pas gentil, ça ! Elle n’est pas plus folle qu’une autre.
- Oui, oui, vous la défendez comme à chaque fois. Vous verrez quand elle vous
traitera par tous les noms d’oiseaux…
- J’y ai eu droit, tout à l’heure, mais là n’est pas la question… Comment vous
sentez-vous ce matin ?
- Comme d’habitude, des douleurs dans les articulations. Un truc de vieux, en
somme.
Maryse était attentive au moindre changement d’humeur de Pépé. Moins il était
loquace, plus il fallait être réactive face aux mesures à prendre. Elle était témoin des
difficultés respiratoires récentes aggravées par sa contamination à la Covid-19. Chaque soir,
avant de s’endormir, elle avait une pensée pour Pépé dans sa prière qu’elle adressait à Saint
Pérégrin Laziosi. Maryse ne savait pas exactement à quel saint se vouer ! Elle savait juste que
ce Saint-là avait guéri sa mère d’un cancer du sein, stade terminal. On lui avait dit
diplomatiquement de faire ses adieux à sa génitrice mais Maryse, ne pouvant se résoudre à
cette perte prochaine, n’avait pas manqué une seule journée pour brûler des cierges à l’Eglise
des Pauvres, sise à deux pas de l’EHPAD du Manoir. Depuis cette guérison miraculeuse,
Maryse avait gagné l’estime de la communauté chrétienne de son village. Pourtant, ce n’était
pas gagné d’avance. Les autochtones n’appréciaient pas toujours la venue de nouvelles
ouailles dans leur cellule de prière, des Noires qui plus est. Ce n’est pas qu’ils étaient racistes
mais les images biaisées des Africains diffusées sur les chaînes télévisées à sensation allaient
dans leur sens : les Blacks étaient de voleurs et leurs femmes de couleur, des sorcières qui
avaient les recettes de mille et un grigris. Gare à celles et ceux qui se mettaient en travers de
leur chemin ! C’est ainsi que les dames les plus bigotes n’hésitaient pas à demander à Maryse
de ne pas oublier de les porter en prière, afin qu’elles gagnassent l’affection de leur belle-fille
ou encore le retour au bercail de leur fils adoré…
De nature affable, Maryse s’exécutait sans rechigner et les prières pouvaient ainsi
durer une heure entière, empiétant sur ses heures de sommeil, déjà raccourcies par des
problèmes récurrents d’insomnie.
2