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N° 03                               L’aide soignante



                      Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32,
               avenue du manoir, 5ème étage, porte  gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit

               d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème étage, et frappa porte gauche. A peine s'était-elle aperçue de
               son erreur, qu'une voix résonna dans la pièce du fond : « Enfin ! Je vous attendais ».

                      Maryse ne comprit pas de suite que la voix qui vint de crisser ainsi n’était pas la voix
               de son patient  habituel  du 5 ème   étage. Obéissante,  elle pénétra dans la  chambre de l’étage

               inférieur. Une vieille dame, à l’aube du centenaire, l’accueillit avec un rayonnant sourire

               édenté. Maryse se relaxa devant un tel accueil miroité par ce visage fripé comme la peau d’un
               Shar Pei.

                      -  Alors, Madame  Louise, vous avez passé une  bonne nuit ? Questionna l’aide
                          soignante, ravie de constater que la toilette de la plus vieille des locataires de

                          l’EHPAD du Manoir    avait été faite, sans doute par l’aide soignante de garde

                          nocturne.
                      -  Excellent, maman. D’ailleurs j’ai rêvé de vous… Répondit-elle, fièrement.

                      -  Madame  Louise, ce n’est que moi, Maryse.  Votre maman,  elle n’est plus de ce
                          monde. Vous vous rappelez ?

                      -  Arrêtez de vous foutre de ma gueule, sale négresse !

                      -  Oh, je ne me moque pas de vous. Soyez-en sûre.
                      -  Mais alors, si vous n’êtes pas ma mère, qui êtes-vous ? Au secours ! aux voleurs !

                          Au secours !
                      Maryse n’était pas plus inquiète que cela des sautes d’humeur de la locataire du 4 ème .

               A force d’expériences, elle savait qu’il n’était pas la peine de la contrarier plus que de raison
               lorsque son Alzheimer avait pris le dessus. Essayer de corriger ses erreurs chronologiques ne

               servait à rien.  Elle se contenta de la débarrasser de son plateau de petit déjeuner, lui souhaita

               une bonne journée et monta au 5 ème . Ce dernier étage était son étage de prédilection. Et pour
               cause, Monsieur Jourdain, moins acariâtre que Mme Louise, était un patient facile à vivre. Il

               pouvait même faire preuve de générosité lorsque, après chaque visite de ses enfants et de ses
               petits-enfants, il n’hésitait pas à partager les boîtes de chocolat et les guimauves que ces

               derniers lui offraient avec sa soignante préférée. Monsieur Jourdain s’étonna du léger retard

               de Maryse, elle qui toquait à sa porte tous les jours à 8h30 tapantes.




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