Page 128 - tmp
P. 128
N° 22 De l’ombre à la lumière
Dans quelques minutes, qu’elle souhaite tantôt voir raccourcir tantôt s’étirer, l’étincelante
Luce se produira pour la première fois, devant un public ayant payé une fortune pour venir la voir,
elle. Cette seule idée la terrorise et elle se demande ce qu’elle fiche là. L ’espace d’un court instant,
elle considère même la fuite, puis, elle se reprend vite en repensant à la petite provinciale timide, mal
dans sa peau, qu’elle avait été et qui s’était fait la promesse de devenir une étoile parmi les étoiles.
Enfant, la jeune fille était gracile, toujours en retrait, préférant mirer le sol et le ciel plutôt que
d’interagir avec ses semblables, qu’ils fussent enfants ou adultes. Ses amis étaient soit imaginaires
soit carrément d’une autre espèce. Les meilleurs d’entre eux n’étaient autres qu’un couple de petites
mésanges. Elles avaient élu domicile dans le vieux chêne du jardin, qui se situait juste sous la fenêtre
de sa chambre. Cette amitié était née doucement, patiemment, progressivement, chaque jour un peu
plus que le précédent et était principalement fondé sur le partage et la confiance. De cette amitié
singulière, était née sa passion pour ces deux arts majeurs que sont le chant et la danse, pour lesquels
elle semblait avoir ce que la plupart des grandes personnes autour d’elle qualifiaient de «don du ciel».
Très vite, elle fit l’admiration de tous et dut partir loin des siens pour intégrer les rangs du
conservatoire. Le jury ne put dissimuler son enthousiasme face au talent et à l’aura exceptionnels de
la frêle gamine. Ce qui accentuait cette impression était en partie dû au contraste existant entre la
jeune fille insignifiante et soporifique qu’elle était et cette créature délicieuse et éblouissante en
laquelle elle se muait sitôt les premières notes jouées. Lors de sa première audition, elle avait failli
s’évanouir de peur. Aujourd’hui encore, elle se demande pourquoi elle s’inflige, physiquement et
1
1 De l’ombre à la lumière