Page 31 - 54_Xavier_Le_Polozec
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Les indications de l’assistant se basaient sur les dires d’anciens rapportant qu’il y avait

              autrefois à cet endroit une grande et longue pièce de bois, seul morceau encore restant du
              bateau du père de Marie- Céline et Bili. Avant son désarmement, ce bateau aurait parcouru

              toutes les mers du globe transportant toutes sortes d’épices. Il se racontait qu’à la disparition de
              Bili, qui suivit de peu celle de Marie-Celine, cette poutre se serait brisée en de multiples

              morceaux. Lorsque l’on brûla ceux-ci, des volutes bleutées aux senteurs poivrées et musquées,

              euphorisantes, s’en seraient dégagées.

              L’inspecteur se trouvait sur « La Poutre », le regard embrouillé, essayant de fixer la lune qui

              dansait une gavotte endiablée au-dessus de l’anse de Leskon. Il se mit à chanter à tue-tête et eut
              besoin de se dégourdir les jambes, il venait de vivre une expérience extraordinaire. Un goéland

              passa très vite au-dessus de l’inspecteur et dans un rire moqueur lâcha une fiente chaude sur la
              plage. L’inspecteur s’avança vers la mer et sa silhouette disparut dans la nuit.


              Térébenthine entendit son chant entrecoupé de bribes de phrases rapportées par le vent. Elle

              crut entendre un moment l’inspecteur dire « … C’était divinement bon…ce Safran est une pure
              merveille » suivi de « cette femme est une ensorceleuse ». Troublée, Térébenthine se dit « Il est

              fou ce Romain ! ». Le chant reprit de longues minutes encore et s’interrompit, remplacé
              rapidement par des ricanements de goélands. « Vos gueules les mouettes ! » leur cria

              Térébenthine.


              Au bout d’une quinzaine de minutes, mue par un pressentiment, elle s’avança sur la plage en
              appelant l’inspecteur. Elle appela longtemps, puis fit venir de l’aide. On le chercha partout

              toute la nuit. Au petit matin, davantage de monde participèrent aux recherches, mais on ne
              retrouva jamais l’inspecteur Romain Marcello. Au bout d’un mois, sa voiture repartit seule de

              Leskon en conduite autonome. Elle était couverte d’une quantité incroyable de fiente de

              goélands et de mouettes qui formait un guano épais sur toute sa surface.

              La légende raconte que, certaines nuits de pleine lune, les goélands sont déchaînés et qu’on

              entend quelqu’un chanter à tue-tête et parler sur la grande plage des Sables Blancs. Certains
              prétendent entendre « Hummmmmm, ce safran… », d’autres affirment que c’est simplement le

              bruit du vent dans les dunes, d’autres encore que c’est « la Nature » qui n’a pas voulu de celui

              qui chante.

              Plus personne ne voulut succéder à l’inspecteur Romain Marcello.


              La Société des Hautes Instances Terrestres ne réalisa plus jamais aucun prélèvement.




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