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Elle pourrait traverser tout droit en diagonale pour rejoindre au plus court l’escalier
de la rue Saint-Vincent, mais les pavés disjoints lui font peur. Et puis, rien ne la
presse. Elle choisit de flâner sous la galerie qui court tout autour de la place et qui
a le mérite de l'abriter de la pluie et du vent. Elle avance doucement. À petits pas
comptés. Le temps qu'elle parvienne au pied de l’escalier, l'averse s'est arrêtée
pour laisser place à un rayon de soleil. Qu'il est doux à son âge de sentir sur son
dos la chaleur de sa caresse ! Elle marque une pause pour reprendre son souffle,
puis attaque vaillamment la série de quatre fois treize marches qui mène à la ville
haute. Elle grimpe une marche après l'autre, lentement, sûrement, en prenant soin
de s’agripper à la rampe de fer forgé. Treize marches, un palier, treize autres, un
palier, treize autres encore, un dernier palier, et après un ultime effort la voilà enfin
parvenue en haut de l'escalier. Elle n’a plus qu’à tourner une fois à gauche, deux
fois à droite, pour se retrouver devant la boutique. Avant même qu’elle n’ait eu le
temps de tendre la main vers la poignée, la porte s’ouvre grand devant elle :
— Entrez, entrez, Mademoiselle Mélusine ! Je vous attendais, l’accueille la
patronne d’une voix enjouée. Toujours fidèle à notre rendez-vous et
toujours en pleine forme, à ce que je vois ! Alors ? Laissez-moi deviner ? Si
je ne me trompe pas, c'est aujourd'hui vos 90 printemps, n'est-ce pas ?
— Eh oui ! Je suis née le 13 mai 1932, et vous savez quoi ? Tout comme
aujourd'hui, ce jour-là était un vendredi 13 !
— Oh ! Quel curieux hasard ! Mais je vous en prie, asseyez-vous, Laetitia va
prendre soin de vous.
— Laetitia ? s’étonne Mélusine sur un ton contrarié. Anne-Marie n’est pas là ?
Ce serait bien la première fois qu'elle rate mon anniversaire...
— Anne-Marie ? Ah, mais c'est vrai que vous n'êtes pas au courant !
s'exclame la patronne. Voilà bientôt deux mois qu'elle est partie en congés
de maternité. À l'heure qu'il est, elle doit être entrain de pouponner son
adorable petit garçon. Mais vous verrez, vous ne perdrez pas au change,
poursuit-elle sur un ton mielleux. Sa remplaçante est une jeune femme tout
aussi charmante qui va bien s’occuper de vous. N'est-ce pas, Laetitia ?
La jeune femme en question l’installe dans un fauteuil et s’éloigne aussitôt vers
l’arrière-boutique. Son pas est saccadé, sec. Si elle s’occupe d'elle avec autant de
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